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Questions au Professeur Jean Pierre Bourguignon,

Directeur de l’Institut des Hautes Etudes Scientifiques

et

Président de la Société Mathématiques Européenne

 

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1. Quelle importance revêt pour vous la déclaration de Rio qui proclame l’An 2000, année mondiale des mathématiques ?

La déclaration de Rio est une tentative originale qui a, pour moi, trois vertus essentielles:

On pourrait croire que les points de la déclaration vont d’eux-mêmes puisque, par exemple, les mathématiques sont une des sciences les plus internationales. Cependant les mathématiciens ont mis plus de temps que d’autres scientifiques à comprendre l’importance que revêt dans la société actuelle la communication en direction du grand public pour expliquer les enjeux de la discipline, son fonctionnement, ses ambitions et ses limites.

Il y a aussi un caractère symbolique à ce que cette déclaration ait été faite à Rio de Janeiro (indépendamment de la tenue dans cette ville d’un sommet mondial sur l’environnement) : alors que le Brésil est un pays en plein développement, il a déjà une place importante dans la vie mondiale des mathématiques car, avec l’IMPA, il a su se doter très tôt (1957 je crois) d’une structure mobilisatrice pour la recherche à l’échelle du sous-continent sud-américain, sous l’impulsion de collègues ambitieux et capables.

2. Que pensez-vous des trois axes de l’opération (" Les défis du 21ème siècle ", " Les mathématiques : une clé pour le développement ", " Image des mathématiques ") ?

Les trois axes de l’opération me semblent bien choisis car il permettent de mettre le doigt sur trois des vérités les plus méconnues concernant les mathématiques. On peut les paraphraser ainsi :

3. Quelles manifestations souhaiteriez-vour voir organisées dans le cadre de l’année mondiale ?

Je me réjouis que beaucoup d’initiatives se prennent de par le monde à l’occasion de l’année mondiale, et j’espère que toutes seront réussies. Je souhaite que l’on fasse un effort particulier pour organiser des actions qui pourront avoir un effet de longue durée. Il faut penser dès maintenant à 2001 et la suite. Réussir une mobilisation de cette ampleur juste pour une fête d’une année ne me semble pas à la hauteur des enjeux.

En disant cela, j’ai conscience de ne pas répondre exactement à votre question. Il ne faut pas oublier que toute action d’envergure a des effets sur plusieurs groupes de gens : sur les personnes auxquels elles sont destinées et sur ceux qui les conduisent. Pour moi, l’effet sur les mathématiciens n’est pas le moins important. Il est devenu indispensable que les mathématiciens acceptent de regarder le monde qui les entoure, l’image qu’ils y projettent et les attentes qu’il déçoivent. C’est vital pour la bonne santé de notre communauté mais aussi pour celle de notre discipline. Les mathématiciens doivent inlassablement expliquer pourquoi la méthode abstraite dont ils sont des pratiquants quotidiens fonctionne, dans un va-et-vient non contraint entre une situation particulière et une situation générale.

4. L’établissement dont vous avez la charge ainsi que la SME prévoient-ils des manifestations pour l’An 2000 ? Avez-vous personnellement des projets ? Si oui, pourriez-vous les évoquer ?

Pour le moment l’IHES a les yeux rivés sur la célébration de son 40ème anniversaire en octobre 1998, et, en tant que directeur de cette petite structure, je sais que nos faibles moyens ne nous permettent pas de courir trop de lièvres à la fois. Cependant des contacts ont déjà été noués avec la municipalité de Bures-sur-Yvette pour des actions à orientation locale, mais aussi internationale (parce que c’est la vocation de l’IHES) : sont envisagées l’édification d’une sculpture à vocation symbolique à l’entrée de la ville et de l’Institut, mais aussi des actions de jumelage Nord-Sud.

La SME a mis sur pied, depuis plusieurs années, un comité pour l’année mondiale 2000 dont le responsable est Vagn Lundsgaard Hansen. Plusieurs projets vont être coordonnés à l’échelle européenne avec, divine surprise, l’intérêt affirmé de la Commission Européenne. Il y a des projets de colloques (Hanovre, ile de Samos, Grenade) visant souvent à renouer le fil de l’Histoire dans un contexte multi-culturel (notamment autour du bassin de la Méditerranée) mais aussi une ambitieuse opération visant à faire fleurir dans les métros de grandes villes européennes des affiches racontant des mathématiques pour le grand public pressé, mais bien entendu cela est élargissable à des métropoles du monde entier.

5. Quel est à votre avis l’avenir des mathématiques et des mathématiciens pour le prochain millénaire ?

Je crois, en effet, qu’il est indispensable de faire une distinction entre l’avenir des mathématiques et celui de ceux qui se revendiquent comme mathématiciens. Les mathématiques sont une science dont le champ d’action n’a pas de limite, et l’avènement d’une société dominée par la communication et la gestion des grands systèmes leur donne une place encore plus centrale dans le développement. Cet avenir-là me paraît assurément plein de défis et très prometteur.

Je crains, par contre, que les mathématiciens ne sabotent leur avenir à cause de leur capacité extraordinaire à exclure (je devrais dire " excommunier " car on touche là presque à une dimension religieuse) du champ de vision de la communauté mathématique des pans entiers de la connaissance par manque d’ouverture et finalement d’audace. Les mathématiciens ne doivent pas avoir peur de l’air frais du large. Récemment, pour évoquer ce problème, j’ai donné pour titre à une libre opinion dans la Gazette des Mathématiciens " S’ouvrir sans frilosité ". Cela me semble un enjeu capital.

Si après l’année mondiale 2000, les mathématiciens pouvaient passer moins de temps à restreindre le champ des mathématiques, un grand pas aurait été accompli. Je suis sûr que la relation que nous avons avec des étudiants potentiels, et plus généralement avec nos concitoyens, en serait changée.

 

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